À Pépé(0)

( Sur les grèves d'ici et<o> les révoltes d'ailleurs )

Date : 25/02/11

Cher Camarade,

J'ai repensé plusieurs fois à notre dernière conversation à la réunion des retraité(e)s, tandis que se déroulent ces révolutions plus ou moins sanglantes au Sud et à l'Est de la Méditerranée.

Et je reprends notre dialogue interrompu, avec le sentiment d'avoir eu, sur plusieurs points, des paroles insuffisantes, que je vais reprendre dans le chemin de réflexion ci-après.

Sur l'Euro<o> (retrait envisagé de la zone Euro):

Je soutiens la poursuite de la construction européenne par la revendication d'une Europe "Sociale". Cependant, je reconnais que la difficulté majeure est alors de parvenir à la définition d'objectifs communs de niveaux élevés quant à la protection sociale et à la rémunération salariale. Et je comprends qu'on craigne un "nivellement vers le bas" tant que la capacité de contestation, et donc de négociation, des travailleurs européens reste faible, ainsi que leur solidarité au sein de l'Union.
   Sans doute, cette Europe (actuelle) reste dominée par des intérêts qui se satisfont d'un ultra-libéralisme économique préjudiciable aux travailleurs, - au nom de la "compétitivité" (laquelle cache une soif de profits non-redistribués).
   Et on peut avoir l'impression qu'en dehors de l'Union Européenne on aurait "les coudées franches" pour certaines mesures (blocage des prix, politique salariale, nationalisations, dévaluations compétitives ...); je dis "l'impression", parce qu'il manque d'arguments pour prouver que nous serions moins à la merci du Grand Capital<o> parce que nous serions seuls.
   Le nivellement par le "toujours plus haut" en ce qui concerne le sort fait aux travailleurs, c'est, à mon avis, le défi que doit porter notre France, solidairement, auprès des peuples voisins?!?

Sur la grève générale<o> :

J'ai été satisfait de la position de la CGT consistant à appuyer les grèves reconductibles dans les quelques secteurs les plus revendicatifs à ce moment-là, s'abstenant de "décréter" la grève générale.

Pourquoi?

- S'il y a eu beaucoup de monde pour manifester pendant cette période, le nombre de grévistes est resté peu important;
   surtout:
   - Si l'insatisfaction a été ressentie de façon assez large dans la population, ce qui traduit un malaise/mal-être important sans doute, l'accord sur une réflexion et des mesures visant à assurer l'avenir des retraites restait - et reste - flou.
   [Cependant, j'ai compris comme une avancée très importante pour l'avenir des mouvements revendicatifs, que des déclarations intersyndicales aient unifié les revendications! Mais : - elles portent sur des intentions et des orientations, non suffisamment sur des mesures législatives cohérentes pouvant résoudre les problèmes soulevés; - et surtout elles ont été peu connues de l'Opinion!]
   - Si une opposition s'est enfin manifestée, ce qui est admirable, malgré l'endoctrinement du Gouvernement et, assez longtemps, des Médias, sur le mode "Vivre plus longtemps, donc, travailler plus longtemps et payer plus pour nos retraites" (cela sans soulever la question des critères et du degré de contribution des acteurs économiques et sociaux, - ce qui cachait un refus de même envisager un meilleur partage des fruits de la croissance), il restait - et reste aujourd'hui - à globaliser les revendications : et c'est, d'abord, toute la question de la protection sociale, dans son ensemble<o>, qu'il faut aborder et traduire par des propositions législatives. Et au-delà (c'est lié) les conditions de l'emploi, etc ...
   [C'est tout un "Travail sur le Social" préparatoire tel qu'il a été fait -souviens-toi- avant et pendant 36, 1944/45, 68 .]

Trois remarques :


   1- D'accord, pour ceux/celles qui sont "dans le coup" et en position de décision dans l'organisation, c'est une question d'appréciation du souhaitable, par rapport à ce qu'on peut en attendre comme résultat satisfaisant.
   Bien sûr, si la CGT avait appelé à la grève générale, certain(e)s auraient été encouragé(e)s à la faire et/ou à manifester, ayant compris la nécessité de bloquer l'économie<o> (actions portant suffisamment atteinte aux intérêts capitalistes ...).
   Mais, beaucoup, dans la population, auraient peu ou mal compris/vécu l'objectif de "blocage de l'économie", et se seraient trouvé(e)s, senti(e)s, plutôt et vite "bloqué(e)s" eux/elles-mêmes par la privation de salaire (gardons toujours à l'esprit: le travailleur ne peut s'abstenir de gagner de l'argent, parce qu'il lui faut vivre, au jour le jour; le capitaliste peut attendre!)...
   2- D'accord, "c'est le tout" qu'il faut voir, parce que tout est lié (les Retraites, la Santé, l'Emploi ...), toi et moi en avons bien conscience. Mais, dans la population générale? D'accord, de plus en plus comme "sentiment" d'insatisfaction assez largement partagée, - mais de là à une "conscience" collective<o>, à un projet revendicatif fort?
   3- Pour moi, le coeur du problème est le financement <o>durable du "système social"[à définir, justement] en partant, non des principes de l'ultra-libéralisme économique (qui nie le "collectif" en tant que "solidarité", - sauf sous la forme des ententes financiaro-politiques qui le soutiennent), mais d'une "justice sociale"[à définir, justement], c.-à-d. qu'il faut définir les critères et les modalités d'un partage reconnu équitable des richesses produites. [Il reste du travail à faire, à la CGT et, espérons-le, en inter-syndicale, et dans les partis ... !]

| Donc, si certain(e)s sont déçu(e)s, ce n'est que partie remise sur des bases mieux assurées?

Sur la démocratie :

D'accord, l'élan révolutionnaire<o> d'aujourd'hui dans quelques pays et surtout l'effet d'entraînement qu'il suscite est "admirable", et certes il nous réchauffe le coeur, parce qu'il est le rejet du fatalisme ... il redonne l'espoir du Possible.

Mais pensons aux différences de situations avec notre pays. La 1ère demande commune aux contestataires qui risquent leur vie dans ces pays, c'est la démocratie opposée à la dictature, - une démocratie qu'ils savent si difficile à instaurer, et fragile à maintenir!
   [Alors que, dans nos pays dits "développés", je suis d'avis que nous la considérons trop comme un acquis irréversible<o>, - alors même pourtant que s'étend - malgré et/ou plutôt à cause? de la Crise actuelle - l'audience de l'extrême-droite (euro-sceptique bien sûr, mais au-delà de l'Europe politique, c'est la démocratie qui est visée!)].

Sur le "sacrifice"!

Quant à "offrir sa poitrine aux balles", d'accord, je partage la force de ton sentiment, tragiquement, je dirai... Mais analysons :
   - Ces martyrs, ces sacrifiés, sont suicidaires<o> par manque d'avenir personnel (un avenir qu'ils jugent impossible dans les conditions socio-politiques actuelles). Pour exemple de situation intenable, celle de ces diplômé(e)s sans perspective d'emploi, surtout dans ces pays où, jusqu'à récemment : - l'instruction/éducation<o> était un moyen quasi-sûr de sortir de la misère; - toute la famille du/de la diplômé(e) pouvait espérer - et compter sur - l'aide que lui apporterait ultérieurement le/la diplômé(e). C'est pour ces personnes, un échec complet de l'image de soi dans son monde connu! (et, en fait, dépassé, - son monde - en raison de la mondialisation financière).
   - Une fois fiché(e)s<o> par la police politique, ces contestataires n'ont que deux issues : - fuir le pays (s'ils/elles peuvent et s'ils/elles pensent pouvoir survivre, tout en aidant leur famille restée au pays, ailleurs!); ou: - mourir (parce qu'ils/elles peuvent juger préférable - ce qui serait mon cas à leur place - de se sacrifier plutôt que d'être ensuite torturé(e)s et probablement "disparu(e)s" en fin de course!

Sur le Futur:

Et toujours, comment voir(*) - et faire? - notre Avenir?
   ...

Solidairement,

A bientôt Pépé,

(*) A l'instant, je pense à ta sensibilité<o> de peintre: il faudrait pouvoir faire un tableau qu'il suffirait de regarder pour avoir envie de vivre une solidarité créatrice, - mais ce n'est là qu'une image!

N o t e s

[0] "Pépé" est le plus ancien de notre section syndicale; il était jeune homme du temps du Front Populaire.